Colloque "L'émergence de la conscience"

Colloque interdisciplinaire organisé par ESPHIN (Espace Philosophique de l’UNamur), avec la collaboration du Centre Universitaire Notre-Dame de la Paix (cUNDP), du Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology, et de Louvai4evolution (UCLouvain).

Ce colloque s'adresse :

  • Aux spécialistes, étudiants ou doctorants  de différentes disciplines : neurosciences, biologie, anthropologie, médecine, psychologie, philosophie, éthique, informatique, robotique, mathématiques, …
  • Aux personnes passionnées d'interdisciplinarité ;
  • Aux humanistes et aux curieux.

Date : jeudi 14 novembre 2024 

Lieu  : Faculté de Philosophie et Lettres, rue Grafé 1, Local L22

Formulaire d'inscription (évènement gratuit): https://forms.office.com/e/RUwhtxCZJr

Bienvenue à tous et toutes !


L’ÉMERGENCE DE LA CONSCIENCE

9h15 : Accueil des participants

· Conscience et biologie 

Président de séance : Dominique Lambert

· Conscience et machines

Président de séance : Bertrand Hespel

· Conscience et émergence

Président de séance : Nicolas Monseu

· Conscience et liberté

Président de séance : Gaëlle PONTAROTTI

17h00 à 17h30 : Échanges

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Résumés:

René REZSOHAZY (Institut LIBST, UCLouvain) : Émergence de la conscience : apports de l’embryologie et de la biologie évolutive   

L’émergence de la conscience est un phénomène qui s’ancre à la fois dans le temps court du développement de l’individu (l’ontogenèse) et dans le temps long de l’évolution des espèces ( la phylogenèse). Elle est associée à l’évolution et au développement du cerveau et en particulier au développement cortical. L’embryologie comparée des mammifères, la biologie du comportement, la génomique et la biologie évolutive apportent chacune des enseignements quant aux relations qui unissent le développement du cerveau et les comportements qui identifient les manifestations de la conscience chez les animaux, notamment les primates nos plus proches cousins. Ces domaines de recherche tentent également d’identifier ce qui distinguerait l’humain avec ses capacités cognitives particulières.

Notre exposé tentera de traverser ces champs de la biologie pour esquisser les connaissances et les questions ouvertes au sujet des dimensions ontogénétiques et phylogénétiques de la conscience.

 

Marc CROMMELINCK (professeur émérite UCLouvain) : Aspects neurobiologiques de la conscience

L’ambition d’une théorie neurophysiologique “complète” de la conscience serait de pouvoir relier, dans une chaîne de causalité complexe (causalités ascendante et descendante / survenance, émergence...), les trois niveaux structurels (1.organe cerveau, 2.fonctions cognitives, 3.vécu subjectif) et les deux dimensions temporelles (1.phylogenèse et 2.ontogenèse) de son objet, tel qu’il est construit à la faveur d’une démarche empirico-formelle. Cette théorie est loin d’être achevée... elle est d’ailleurs inachevable (voir néanmoins G. Edelman et son remarquable modèle pour penser la naturalisation de la conscience). Un grand écart s’impose en effet qui va de la génétique/biophysique/biochimie à la phénoménologie en passant par les données expérimentales et les approches computationnelles de l’esprit (mind) : entre énigme et mystère...

Je tenterai de montrer comment, à partir des avancées remarquables des neurosciences cognitives au cours des dernières décennies, on a pu mettre en évidence non seulement l’existence de modules nerveux impliqués dans des processus inconscients, qui représentent « l’importante partie immergée de l’iceberg cognitif », mais également les structures (cingulaires, préfrontales, etc...) impliquées dans les processus conscients (qui représentent en fait la fine pointe de l’iceberg...).

Nous montrerons comment, dans des situations où la fonction-conscience est spécifiquement mobilisée, l’information (-pensée, -émotion, -sensation, -trace mnésique... et une infinité d’autres contenus représentationnels du « flux » de nos états mentaux) a accès à un réseau de fonctions cognitives intégratrices supérieures (attention, mémoires déclaratives, langage, planification de l’action, identité subjective...).

Dans ce sens, la conscience d’accès (N. Block, D. Chalmers) représente bien un avantage sélectif pour les organismes qui possèdent ces modalités supérieures de traitement. Qu’en est-il de la conscience phénoménale (les qualia) : entre épiphénomène ou réel cœur de la conscience, l’unanimité est loin d’être acquise...

Un modèle général semble néanmoins aujourd’hui prendre figure dans la dialectique inconscient/conscient, notamment sous la forme de « l’espace de travail neuronal global », défendu théoriquement par B. Baars et par les travaux de S. Dehaene.

 

Vincent DEGAUQUIER (UNamur): De la conscience des vérités mathématiques

Si la conscience est la « faculté qu'a l'homme de connaître sa propre réalité et de la juger », alors la question de la conscience est inhérente à celle de la vérité. Notre propos consiste à interroger les conséquences d'une modélisation de l'esprit humain en termes mécaniques quant à sa conscience des vérités mathématiques.

Le point de départ de notre discussion réside dans un résultat fameux de logique mathématique démontré par K. Gödel en 1931, à savoir le premier théorème d'incomplétude. Ce théorème, situé à la croisée de la philosophie, des mathématiques et de l'informatique fondamentale constitue un point d'ancrage privilégié pour l'étude des rapports qu'entretiennent les concepts de vérité, de démonstration et d'algorithme en mathématiques.

Par la suite, nous distinguons trois concepts philosophiques de vérité – que sont la vérité-correspondance, la vérité-démonstration et la vérité-cohérence – et montrons que chacun de ces concepts, lorsqu'il est associé à une conception mécaniste de l'esprit humain, donne lieu à une compréhension différente de la conscience des vérités mathématiques.

 

Marie-des-Neiges RUFFO de CALABRE (UNamur) : Peut-on penser que la machine possède des qualias?

Deux questions se nichent dans l’intitulé de cette présentation. De prime abord, la possession de qualias par la machine semble l’enjeu central de cette interrogation. Mais si l’on y regarde de plus près, le discret « peut-on penser » incite à faire un retour préalable sur nous-même, autrement dit de faire usage de notre propre conscience réflexive, avant de pouvoir répondre à la question a priori principale de cet exposé. Ainsi posé, il s’avérera que les deux questions, apparemment bien distinctes l’une de l’autre, trouveront néanmoins une réponse commune.

Pour obtenir ce résultat, nous ferons principalement appel aux travaux de Thomas Nagel sur la conscience, en nous référant tout particulièrement à son article « What is like to be a bat ? » pour traiter cette question. Dans la mesure où nous traiterons de la conscience et de son aspect réflexif, il est nécessaire que nous utilisions cette capacité pour faire preuve d’empathie. Aussi, nous nous placerons à la place d’autrui pour débuter notre investigation, notamment de ceux qui auraient perçu d’autres questions à la lecture de l’intitulé que le duo que nous avons déjà identifié. La première de ces questions additionnelles est très probablement celle-ci : « qu’est-ce qu’un qualia ? ». La réponse est simple, le terme désigne un « état mental », quel qu’il soit. Quant à savoir en quoi consiste un état mental, ce dernier découle d’une expérience de notre conscience.

Par exemple, dans l’imaginaire du philosophe Condillac, la statue découvrant le parfum d’une fleur fait une expérience sensible qui déclenche un état mental en elle. De cet exemple issu de l’histoire de la philosophie, il semble évident que la possession d’une sensibilité soit la condition première pour vivre une expérience, et que ce ressenti lui-même n’est possible qu’à condition d’imaginer, comme Condillac, qu’une statue puisse être dotée de quelque chose qui ressemble à une conscience, ou plutôt selon les termes de Condillac, d’un « esprit ».

L’illustration est séduisante, mais la statue de Condillac n’est qu’une expérience de pensée. Chacun de nous peut reconnaître que les statues appartiennent au genre des objets inanimés. Pourrait-on en dire autant des machines, et plus particulièrement des robots, ou encore plus globalement, des IA ?

 

Olivier SARTENAER (UNamur): Approches émergentistes de la conscience

Afin d’éviter les écueils classiques du matérialisme réductionniste et du dualisme de type cartésien, il est aujourd’hui très répandu d’affirmer que la conscience  – quelle qu’en soit la nature exacte – émerge d’un substrat neurobiologique et, par extension, physico-chimique. Mais qu’est-ce que cela peut-il bien vouloir dire et, surtout, en quoi cette (famille de) solution(s) « médiane(s) » serait-elle réellement viable ? 

Dans cet exposé, il sera d’abord question de préciser les significations possibles de l’expression « émergence de la conscience » pour, dans un second temps, en explorer les atouts et limites respectifs. En chemin, une proposition hétérodoxe, inspirée de la physique, sera proposée.

 

Thibaut DE MEYER (UNamur): F. Skinner et l’évolution de la conscience ?

Burrhus F. Skinner (1904-1990) critiquait toutes les théories portant sur la conscience. Selon le psychologue béhavioriste, la conscience n’est rien de plus qu’un mot qu’on utilise pour décrire certains types de comportements. Toujours selon lui, il est possible d’expliquer tous les comportements animaux et humains sans avoir à invoquer la moindre conscience. Tous les comportements seraient en effet dus à des mécanismes d’associations. Bien que ces mécanismes de conditionnement étaient considérés comme de simples automatismes par Skinner, depuis les années 2000 les psychologues se sont attelées à distinguer des types d’associations, notamment en fonction du temps qui sépare les stimuli. Les associations entre stimuli simultanés s’acquièrent de manière inconsciente, alors qu’une association entre deux stimuli séparés ne fût-ce que d’une fraction de seconde nécessite la capacité (chez les humains) à pouvoir verbaliser l’association (marque de la conscience). Ceci suggère que les animaux qui en sont capables doivent aussi être capables de conscience. La capacité à relier des stimuli entre eux, bien loin d’être un « bête » mécanisme, pourrait être à l’origine de la conscience.

 

Marie d’UDEKEM-GEVERS (professeur émérite UNamur): « Une nouvelle théorie de la conscience » proposée par Antonio Damasio

Cet exposé est une présentation commentée du dernier livre d’Antonio Damasio, intitulé : « Sentir et savoir ». 

Elle exploite des schémas personnels, soumis à l’auteur et avalisés par ce dernier. Mais elle ne peut faire l’économie d’un vocabulaire propre à ce scientifique.

Comme le sous-titre de son ouvrage le précise, ce médecin portugais, par ailleurs professeur de neurologie, neurosciences, et psychologie à l’Université de Californie du Sud, y propose « Une nouvelle théorie de la conscience ».

Il commence par y considérer l’intelligence comme étant « la capacité à résoudre les problèmes que pose la lutte pour la vie » et par faire une différence fondamentale entre deux sortes d’intelligence.

La première, qu’il qualifie de « non-explicite », est, selon sa définition, cachée et fondée sur des processus chimiques ou bioélectriques se déroulant aux niveaux moléculaire et infra-moléculaire. Elle est présente, d’après lui, chez tout être vivant.

La seconde n’est présente que chez les êtres doués d’un système nerveux. Elle est dite « explicite ». En effet, elle est manifeste et fondée sur la construction et le stockage de « représentations » mentales, appelés aussi « images » par Damasio. Celles-ci reposent elles-mêmes dynamiquement sur des cartes neuronales ; elles « représentent des objets et des actions et leur ressemblent ».

Damasio définit alors l’« esprit » comme un « flux d’images mentales ».

Certaines de ces images sont le support de « sentiments » (feelings en anglais). (Ce terme anglais employé par Damasio pourrait aussi se traduire en français par « ressentis ».) D’après ce psychologue, les sentiments sont des informations qui peuvent inciter à l’action. Et ils sont essentiellement basés sur l’intéroception, c’est-à-dire la perception de l’état de notre monde intérieur (en particulier des viscères). Pour illustrer cette notion, le neuroscientifique épingle le sentiment de malaise et celui de bien-être. Les sentiments permettent, écrit Damasio, une interaction entre le corps et l’esprit. Ils sont des « hybrides corps-esprit ».

Ils sont au cœur même de la « nouvelle théorie de la conscience ». En effet, selon le professeur de neurologie, l’émergence des sentiments précède dans l’évolution l’apparition de la conscience et en est une condition nécessaire.

Suivant ce même auteur, les sentiments ouvrent aussi directement la voie à l’expérience mentale subjective, qui va de pair avec la conscience.

Damasio propose de la conscience la définition suivante : c’est une « expérience mentale assortie de deux caractéristiques qui sont liées : les contenus sont ressentis et ils adoptent une perspective singulière (celle de l’organisme auquel appartient l’esprit) ». Il ajoute : « Les images de tout type - visuelles, auditives, tactiles, verbales, etc.- individuellement ou en combinaison, sont les véhicules naturels de la connaissance. » 

A propos des sentiments, Damasio déclare qu’ils déterminent nos comportements. Voici textuellement son affirmation : « Nous sommes les pantins à la fois de la douleur et du plaisir ; seule la créativité nous offre de - rares - occasions de liberté. »

Bernard FELTZ (professeur émérite, UCLouvain)  : Conscience et libre arbitre : une émergence commune ?

Si l’on associe le concept de conscience au concept de « représentation », la conscience prend la forme d’une sorte de distanciation par rapport aux contraintes immédiates pour l’élaboration de comportements plus complexes.

Cette perspective rentre en dialogue avec diverses acceptions de l’émergence, émergence diachronique dans l’évolution et les phénomènes de croissance individuelle, émergence synchronique dans les comportements individuels à un moment donné.

Cette perspective rentre également en dialogue avec les concepts de libre arbitre tels que les développent des penseurs tels que Merleau-Ponty et Jürgen Habermas, d’une part, et Baruch Spinoza et Henri Atlan, d’autre part.